Un employeur peut-il interdire à un salarié de le concurrencer dans le monde entier voire « vers l’infini et au-delà » ?

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Une clause de non-concurrence n’est licite que si elle est indispensable à la protection des intérêts légitimes de l’entreprise, limitée dans le temps et dans l’espace, qu’elle tient compte des spécificités de l’emploi du salarié et comporte l’obligation pour l’employeur de verser au salarié une contrepartie financière, ces conditions étant cumulatives.

Pour ordonner à une salariée de cesser toute activité de concurrence professionnelle à la société […] au sein de la société […] et la condamner à payer des sommes à titre provisionnel, la Cour d’appel d’Anger a retenu que le fait que la délimitation géographique de l’obligation de non-concurrence soit le monde entier ne rendait pas en soi impossible par la salariée l’exercice d’une activité professionnelle.

Pour la Cour de cassation, en statuant ainsi, alors qu’il résultait de ses constatations que la clause de non-concurrence n’était pas délimitée dans l’espace, ce dont il résultait que les demandes fondées sur cette clause se heurtaient à l’existence d’une contestation sérieuse, et que sa méconnaissance ne constituait pas un trouble manifestement illicite, la cour d’appel a violé le  principe fondamental de libre exercice d’une activité professionnelle et les articles L. 1121-1, R. 1455-6 et R. 1455-7 du code du travail.

Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 8 avril 2021, 19-22.097

Lorsqu’une clause-de-non concurrence n’apparait pas délimitée dans l’espace, les demandes en référés par l’employeur fondées sur cette clause se heurtent à l’existence d’une contestation sérieuse et sa méconnaissance ne constitue pas un trouble manifestement illicite.

Il convient en effet d’apprécier si la limite dans l’espace stipulée dans la clause de non-concurrence viole ou non le principe fondamental de libre exercice d’une activité professionnelle.

La limitation des effets d’une clause de non concurrence excède la compétence du juge des référés des lors qu’elle conduit à apprécier la validité de ladite clause.

Cour d’appel de de Grenoble – ch. sociale sect. A 16 mai 2017 / n° 16/05756

Une clause de non-concurrence avec un champ d’application géographique « le monde entier » voire « vers l’infini et au-delà » n’est pas forcément illicite.

En effet, quelle que soit son étendue géographique, une clause de non-concurrence est valable si le salarié ne se trouve pas dans l’impossibilité d’exercer une activité conforme à sa formation, à ses connaissances et à son expérience professionnelle

Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 3 juillet 2019, 18-16.134

Dans cette espèce, pour la Cour de cassation, « la stipulation d’un champ d’application aussi vaste dans un premier temps qu’un continent, à savoir l’Europe, puis son extension à un deuxième continent, l’Asie, outre les Etats du Pacifique », ne constitue pas nécessairement une limitation excessive à la liberté du travail.

Le juge doit rechercher si le salarié se trouvait ou non dans l’impossibilité d’exercer une activité conforme à sa formation, à ses connaissances et à son expérience professionnelle

Il appartient au salarié de justifier de cette impossibilité.

Cour d’appel de Paris – Pôle 06 ch. 09 10 février 2021 / n° 19/10869

Le salarié doit justifier que l’étendue géographique de cette impossibilité l’a empêché   de trouver un emploi dans son domaine de compétences dans un autre secteur d’activité que celui exercé par l’employeur.

Cour d’appel de Riom – ch. civile 04 sociale 10 septembre 2019 / n° 17/02609

Une clause de non-concurrence s’étendant « au monde entier à l’exception des USA, du Canada et de l’Amérique Latine », a été jugée indispensable à la protection des intérêts de la société […]  et légitime compte tenu des fonctions du salarié, il existait une contrepartie financière qui a été versée au salarié, elle était limitée dans l’espace.

Cour d’appel de de Colmar – ch. sociale sect. A 26 mars 2015 / n° 382/15

Le fait que la délimitation soit l’Europe, ou le monde entier ne rend pas en soi impossible par le salarié l’exercice d’une activité professionnelle et il lui appartient de prouver qu’il se trouve dans l’impossibilité d’exercer une activité conforme à sa formation, à ses connaissances et à son expérience professionnelle.

Cour d’appel d’Angers – ch. Sociale 27 juin 2019 / n° 18/00785

Par extrapolation, une interdiction « vers l’infini et au-delà » ne rend pas en soi, non plus, impossible par le salarié l’exercice d’une activité professionnelle.

Il appartient à l’employeur de justifier que la délimitation « vers l’infini et au-delà » est indispensable à la protection des intérêts légitimes de l’entreprise, qu’elle est limitée dans le temps et dans l’espace (l’univers possède-t-il des limites ?) , qu’elle tient compte des spécificités de l’emploi du salarié et comporte l’obligation pour l’employeur de verser au salarié une contrepartie financière, ces conditions étant cumulatives.

Il appartient au salarié de justifier que dans la limitation « vers l’infini et au-delà », il se trouvait dans l’impossibilité d’exercer une activité conforme à sa formation, à ses connaissances et à son expérience professionnelle.

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Eric ROCHEBLAVE
Avocat Spécialiste en Droit du Travail
et Droit de la Sécurité Sociale
Barreau de Montpellier
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