Une blague sexiste au travail peut justifier le licenciement d’un salarié sans porter atteinte à sa liberté d’expression
Une BLAGUE SEXISTE au TRAVAIL
« Les gars vous savez c'qu'on dit à une femme qu'a déjà les deux yeux au beurre noir ? On ne lui dit plus rien on vient déjà d'lui expliquer deux fois ! »
peut justifier le LICENCIEMENT d’un salarié
Ne porte pas une atteinte excessive à la liberté d’expression du salarié son licenciement, fondé sur la violation d'une clause de son contrat de travail et les circonstances entourant des propos réitérés reflétant une banalisation des violences à l’égard des femmes.
sans porter atteinte à sa LIBERTE D’EXPRESSION
Par cette décision, la Cour de cassation ne juge pas qu’un salarié n’a pas le droit de faire une blague sexiste mais qu’une clause de son contrat travail et les circonstances qui ont entouré cette « blague » justifiaient son licenciement qui ne porte pas une atteinte disproportionnée à sa liberté d’expression.
Selon l'arrêt attaqué (Paris, 3 décembre 2019), M. [S], humoriste connu sous le nom de scène « Tex », a été engagé en qualité d'animateur, entre septembre 2000 et décembre 2017, par de multiples contrats à durée déterminée d'usage conclus avec la société Sony Pictures télévision production France, aux droits de laquelle vient la société Satisfy, pour animer un jeu télévisé dénommé « Les Z'amours », diffusé sur la chaîne France 2.
Le 6 décembre 2017, le salarié a été mis à pied et convoqué à un entretien préalable en vue d'une possible sanction pouvant aller jusqu'à la rupture de son contrat de travail. Le 14 décembre 2017, l'employeur lui a notifié la rupture de son contrat pour faute grave.
Contestant cette décision et sollicitant la requalification de ses contrats de travail en un contrat à durée indéterminée, le salarié a saisi la juridiction prud'homale.
Le salarié fait grief à l'arrêt de juger motivée la rupture des relations contractuelles, de rejeter ses demandes tendant à voir prononcer la nullité de son licenciement et, subsidiairement, dire ce licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse, de rejeter ses demandes tendant à la condamnation de son employeur à lui verser des indemnités à titre de licenciement nul et, subsidiairement, pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, ainsi que ses demandes d'indemnité légale de licenciement, d'indemnité compensatrice de préavis et de congés payés afférents, de rappel de salaire sur mise à pied et de congés payés afférents
Réponse de la Cour de cassation :
Selon l'article 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, toute personne a droit à la liberté d'expression.
Ce droit comprend la liberté d'opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu'il puisse y avoir ingérence d'autorités publiques et sans considération de frontière.
L'exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l'intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l'ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d'autrui, pour empêcher la divulgation d'informations confidentielles ou pour garantir l'autorité et l'impartialité du pouvoir judiciaire.
Il résulte de l'article L. 1121-1 du code du travail que, sauf abus, le salarié jouit, dans l'entreprise et en dehors de celle-ci, de sa liberté d'expression, à laquelle seules des restrictions justifiées par la nature de la tâche à accomplir et proportionnée au but recherché peuvent être apportées.
Si la rupture du contrat de travail, motivée par les propos tenus par le salarié, constitue manifestement une ingérence de l'employeur dans l'exercice de son droit à la liberté d'expression tel que garanti par l'article 10, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, il appartient cependant au juge de vérifier si, concrètement, dans l'affaire qui lui est soumise, une telle ingérence est nécessaire dans une société démocratique, et, pour ce faire, d'apprécier la nécessité de la mesure au regard du but poursuivi, son adéquation et son caractère proportionné à cet objectif.
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Pour procéder à la mise en balance des intérêts en présence, la cour d'appel a d'abord constaté qu'aux conditions particulières du contrat de travail figurait une clause par laquelle l'animateur reconnaissait avoir pris connaissance et s'engageait à respecter l'ensemble des dispositions du cahier des missions et des charges de France 2 et de la Charte des antennes de France Télévisions et notamment « le respect des droits de la personne », comme constituant « une des caractéristiques majeures de l'esprit devant animer les programmes des chaînes publiques de télévision » tandis que la clause figurant à l'article 4.2 du contrat précisait que « toute atteinte à ce principe par Tex, qu'elle se manifeste à l'antenne ou sur d'autres médias, constituerait une faute grave permettant à Sony Pictures Télévision Production, dès que celle-ci en serait informée, de rompre immédiatement le contrat ».
Elle a ajouté que la Charte des antennes France Télévisions prévoyait au chapitre « Respect de la personne et de la dignité », en son paragraphe 2.9, le refus de toute complaisance à l'égard des propos risquant d'exposer une personne ou un groupe de personnes à la haine ou au mépris, notamment pour des motifs fondés sur le sexe, et en son paragraphe 2.11, le refus de toute valorisation de la violence et plus particulièrement des formes perverses qu'elle peut prendre telles que le sexisme et l'atteinte à la dignité humaine.
La cour d'appel a constaté que le 30 novembre 2017, participant à l'émission « C'est que de la télé ! » sur la chaîne C8, le salarié a été invité à conclure par un dernier trait d'humour et a alors tenu les propos suivants : « Comme c'est un sujet super sensible, je la tente : les gars vous savez c'qu'on dit à une femme qu'a déjà les deux yeux au beurre noir ? - Elle est terrible celle-là ! - on lui dit plus rien on vient déjà d'lui expliquer deux fois ! ».
La cour d'appel a ensuite relevé que ces propos avaient été tenus alors, d'une part, que l'actualité médiatique était mobilisée autour de la révélation début octobre de « l'affaire [D] » et de la création de blogs d'expression de la parole de femmes tels que « #metoo » et « #balancetonporc » et d'autre part, que quelques jours auparavant, à l'occasion de la journée internationale pour l'élimination de la violence à l'égard des femmes du 25 novembre 2017, le Président de la République avait annoncé des mesures visant à lutter contre les violences sexistes et sexuelles, rappelant que 123 femmes étaient décédées sous les coups, en France, au cours de l'année 2016.
Elle a encore, d'une part, souligné le contexte particulier dans lequel le salarié avait tenu ses propos, au terme d'une émission diffusée en direct et à une heure de grande écoute, dans des circonstances ne permettant pas à leur auteur de s'en distancier pour tenter d'en atténuer la portée, malgré des précautions oratoires qui traduisaient la conscience qu'il avait de dépasser alors les limites acceptables et, d'autre part, constaté que, dans les jours suivants, à l'occasion d'un tournage de l'émission dont il était l'animateur, le salarié, après s'être vanté auprès de l'un des collègues d'avoir ainsi « fait son petit buzz », avait adopté, vis-à-vis d'une autre candidate, une attitude déplacée, consistant en plusieurs questions sur la fréquence de ses relations sexuelles avec son compagnon, qui ne correspondait manifestement pas aux engagements qu'il avait renouvelés auprès de son employeur lorsque celui-ci l'avait alerté sur la nécessité de faire évoluer le comportement qu'il avait sur le plateau avec les femmes.
Elle a conclu que le comportement adopté par le salarié dans les jours qui ont suivi son intervention dans l'émission « C'est que de la télé ! », loin de le distancier de la banalisation apparente de la violence vis-à-vis des femmes résultant des termes de la « blague » proférée, renforçait au contraire cette banalisation, sous le prétexte d'une censure imputée à son employeur, indirectement mis en cause à plusieurs reprises au cours de ces tournages, et que la réitération de propos misogynes, déplacés et injurieux ne permettait pas de retenir la légitimité des transgressions que s'était autorisées le salarié en abusant de sa liberté d'expression et en s'affranchissant de la clause d'éthique à laquelle il avait contractuellement souscrit, de tels propos étant, en outre de nature à ternir durablement l'image de la société qui l'employait, clairement menacée par un courrier du 5 décembre 2017 de France Télévisions, exigeant le remplacement « sans délai » de l'animateur en application des clauses contractuelles liant les parties.
Pour la Cour de cassation, de l'ensemble de ces éléments, la cour d'appel qui a fait ressortir que le licenciement, fondé sur la violation par le salarié d'une clause de son contrat de travail d'animateur, poursuivait le but légitime de lutte contre les discriminations à raison du sexe et les violences domestiques et celui de la protection de la réputation et des droits de l'employeur, a exactement déduit, compte tenu de l'impact potentiel des propos réitérés du salarié, reflétant une banalisation des violences à l'égard des femmes, sur les intérêts commerciaux de l'employeur, que cette rupture n'était pas disproportionnée et ne portait donc pas une atteinte excessive à la liberté d'expression du salarié.
Cass. Soc. 20 avril 2022 n° 20-10.852
Eric ROCHEBLAVE - Avocat Spécialiste en Droit du Travail et Droit de la Sécurité Sociale
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