Cotisations sociales impayées : les dirigeants d’entreprise peuvent être condamnés personnellement au paiement de l’insuffisance d’actif et à une interdiction de diriger toute entreprise
Dettes URSSAF - Faute de gestion
Responsabilité pour insuffisance d'actif
Le paiement des charges sociales et fiscales fait partie des obligations d'un dirigeant d'entreprise[1].
En droit l'absence de paiement des cotisations sociales, eu égard à l'importance des dettes sociales et à la période concernée, peut constituer une faute de gestion, de nature à fonder la condamnation du dirigeant, à combler le passif[2].
Le défaut de paiement de cotisations sociales et dettes fiscales constitue à lui seul une faute engageant la responsabilité des dirigeants de la société[3].
Le dirigeant d'une personne morale peut être déclaré responsable sur le fondement de l'article L. 651-2 même si la faute de gestion qu'il a commise n'est que l'une des causes de l'insuffisance d'actif et condamné à supporter en totalité ou en partie les dettes sociales, même si sa faute n'est à l'origine que d'une partie d'entre elles[4].
Le juge n'a pas à déterminer la part de l'insuffisance d'actif imputable à chacune des fautes retenues[5].
Selon l'article L 651-2 du code de commerce,
« lorsque la liquidation judiciaire d'une personne morale fait apparaître une insuffisance d'actif, le tribunal peut, en cas de faute de gestion ayant contribué à cette insuffisance d'actif, décider que le montant de cette insuffisance d'actif sera supporté, en tout ou en partie, par tous les dirigeants de droit ou de fait, ou par certains d'entre eux, ayant contribué à la faute de gestion. »
Il appartient au ministère public qui poursuit la condamnation du dirigeant au paiement de l'insuffisance d'actif d'établir tant l'insuffisance d'actif que celle d'une faute de gestion, distincte d'une simple négligence, imputable dirigeant[6].
Dirigeants
L'action peut être engagée à l'égard de tout dirigeant de fait ou de droit de la société, mais elle doit être examinée pour chacun distinctement, à l'aune des fautes qu'il aurait personnellement commises en cette qualité[7].
L’insuffisance d’actif
Selon l'article R 643-16 du code de commerce,
« L’insuffisance d'actif est caractérisée lorsque le produit de la réalisation des actifs du débiteur et des actions et procédures engagées dans l'intérêt de l'entreprise ou des créanciers ne permet plus de désintéresser, même partiellement, les créanciers. »
L'insuffisance d'actif s'établit à la différence entre le montant du passif admis et correspondant à des créances antérieures au jugement d'ouverture et le montant de l'actif de la personne morale débitrice tel qu'il résulte des réalisations effectuées en liquidation judiciaire[8].
Elle s'apprécie au jour où la juridiction statue dans le cadre de l'action engagée à l'encontre du dirigeant en exercice.
La faute de gestion
L'action en comblement du passif a pour objet de sanctionner le comportement antérieur au jugement d'ouverture du ou des dirigeants et qui y aurait contribué.
Il en résulte que seules des fautes de gestion antérieures au jugement d'ouverture de la liquidation judiciaire - qui autorise l'action en responsabilité d'insuffisance d'actif- peuvent être prises en compte[9].
Il n'existe pas de définition légale de la faute de gestion[10].
Exemples (non exhaustifs) de faute de gestion :
- L’absence de paiement des cotisations sociales[11].
- L'absence de déclaration de l'état de cessation de paiement[12]
- L'absence de comptabilité[13]
L'absence de tenue d'une comptabilité a privé le dirigeant d'un moyen de percevoir l'évolution réelle de la situation financière de l'entreprise et d'éviter de contracter de nouvelles dettes. Elle a participé à l'aggravation du passif et justifie le prononcé d'une interdiction de gérer, administrer ou contrôler, directement ou indirectement toute entreprise commerciale ou artisanale, toute exploitation agricole, toute personne morale d'une durée de 3 ans[14].
L’absence, pour une société, d'une comptabilité sincère et régulière, affecte nécessairement son évolution et sa situation financière. Ainsi, ne disposant pas de l'outil fiable que cette comptabilité devrait constituer pour eux, les deux dirigeants n'ont pu prendre les décisions qui auraient été nécessaires ou opportunes, de sorte que l'état de la société s'est dégradé et son insuffisance d'actif creusée au fil des mois et des années[15].
La tenue de la comptabilité, c'est-à-dire l'enregistrement des mouvements affectant le patrimoine de la société (grands livres, balance et journaux) et, sous certaines conditions, l'établissement des comptes annuels (bilan, comptes de résultat et annexes) sont des obligations pesant sur la personne morale afin de donner une image sincère de son patrimoine, de sa situation financière et de ses résultats. Il appartient donc à son représentant légal en l'occurrence son gérant d'y pourvoir par la mise en œuvre de moyens adaptés[16].
- Le remboursement d'un compte courant d'associé dès lors qu'il a été réalisé au détriment des autres créanciers et en parfaite connaissance des difficultés financières de la société constituent une faute de gestion[17]
- Les manquements aux obligations sociales et fiscales[18]
Le dirigeant d'une personne morale peut être déclaré responsable sur le fondement de l'article L. 651-2 précité même si la faute de gestion qu'il a commise n'est que l'une des causes de l'insuffisance d'actif et condamné à supporter en totalité ou en partie les dettes sociales, même si sa faute n'est à l'origine que d'une partie d'entre elles[19].
Le lien de causalité
Un lien de causalité doit être établi entre la faute de gestion et l'insuffisance d'actif[20].
La faute peut avoir seulement "contribué" à l'insuffisance d'actif et il n'est pas nécessaire que la faute soit la cause directe et exclusive du dommage[21].
Le juge n'a pas à déterminer la part de l'insuffisance d'actif imputable à chacune des fautes retenues[22].
La faillite personnelle du dirigeant
L'article L 653-5 du code de commerce dispose que :
« Le tribunal peut prononcer la faillite personnelle de toute personne mentionnée à l'article L. 653-1 contre laquelle a été relevé l'un des faits ci-après :
1° Avoir exercé une activité commerciale, artisanale ou agricole ou une fonction de direction ou d'administration d'une personne morale contrairement à une interdiction prévue par la loi ;
2° Avoir, dans l'intention d'éviter ou de retarder l'ouverture de la procédure de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire, fait des achats en vue d'une revente au-dessous du cours ou employé des moyens ruineux pour se procurer des fonds ;
3° Avoir souscrit, pour le compte d'autrui, sans contrepartie, des engagements jugés trop importants au moment de leur conclusion, eu égard à la situation de l'entreprise ou de la personne morale ;
4° Avoir payé ou fait payer, après cessation des paiements et en connaissance de cause de celle-ci, un créancier au préjudice des autres créanciers ;
5° Avoir, en s'abstenant volontairement de coopérer avec les organes de la procédure, fait obstacle à son bon déroulement ;
6° Avoir fait disparaître des documents comptables, ne pas avoir tenu de comptabilité lorsque les textes applicables en font obligation, ou avoir tenu une comptabilité fictive, manifestement incomplète ou irrégulière au regard des dispositions applicables ;
7° Avoir déclaré sciemment, au nom d'un créancier, une créance supposée. »
Selon l'article L 653-8 du code de commerce,
« Dans les cas prévus aux articles L. 653-3 à L. 653-6, le tribunal peut prononcer, à la place de la faillite personnelle, l'interdiction de diriger, gérer, administrer ou contrôler, directement ou indirectement, soit toute entreprise commerciale ou artisanale, toute exploitation agricole et toute personne morale, soit une ou plusieurs de celles-ci.
L'interdiction mentionnée au premier alinéa peut également être prononcée à l'encontre de toute personne mentionnée à l'article L. 653-1 qui, de mauvaise foi, n'aura pas remis au mandataire judiciaire, à l'administrateur ou au liquidateur les renseignements qu'il est tenu de lui communiquer en application de l'article L. 622-6 dans le mois suivant le jugement d'ouverture ou qui aura, sciemment, manqué à l'obligation d'information prévue par le second alinéa de l'article L. 622-22.
Elle peut également être prononcée à l'encontre de toute personne mentionnée à l'article L. 653-1 qui a omis sciemment de demander l'ouverture d'une procédure de redressement ou de liquidation judiciaire dans le délai de quarante-cinq jours à compter de la cessation des paiements, sans avoir, par ailleurs, demandé l'ouverture d'une procédure de conciliation. »
La faute consistant en une tenue de comptabilité irrégulière, nécessite le prononcé à l'encontre de chacun des dirigeants d'une faillite personnelle d'une durée de cinq années, sanction personnelle parfaitement proportionnelle à la gravité et au cumul des fautes commises[23].
[1] Cour d'appel de Paris - Pôle 5 - Chambre 8 10 septembre 2024 n° 22/15119
[2] Cour d'appel de Bourges - 1ère Chambre 25 juillet 2024 n° 24/00283
[3] Cour d'appel de Douai - CHAMBRE 2 SECTION 2 4 juillet 2024 n° 23/04750
[4] Com, 30 nov. 1993, n°91-20.554, publié ; 4 juillet 2018, n°17-14.575
[5] Com, 25 mars 2020, n°18-21.841
[6] Cour d'appel de Toulouse - 2ème chambre 14 janvier 2025 n° 23/02200
[7] Cour d'appel de Nîmes - 4ème chambre commerciale 22 novembre 2024 n° 24/02034
[8] Com. 26 juin 2001, n°98-16.520
[9] Com. 22/01/2020 n°1817030
[10] Cour d'appel de Versailles - Chambre commerciale 3-2 10 décembre 2024 n° 23/04019
[11] Cour d'appel de Bourges - 1ère Chambre 25 juillet 2024 n° 24/00283
Cour d'appel de Douai - CHAMBRE 2 SECTION 2 4 juillet 2024 n° 23/04750
[12] Cour d'appel de Nîmes - 4ème chambre commerciale 22 novembre 2024 n° 24/02034
[13] Cour d'appel de Nîmes - 4ème chambre commerciale 22 novembre 2024 n° 24/02034
[14] Cour d'appel de Toulouse - 2ème chambre 14 janvier 2025 n° 23/02200
[15] Cour d'appel de Nîmes - 4ème chambre commerciale 22 novembre 2024 n° 24/02034
[16] Cour d'appel de Paris - Pôle 5 - Chambre 8 10 septembre 2024 n° 22/15119
[17] Cour d'appel de Grenoble - Chambre commerciale 17 octobre 2024 / n° 23/02574
[18] Cour d'appel de Paris - Pôle 5 - Chambre 8 10 septembre 2024 n° 22/15119
[19] Com, 30 nov. 1993, n°91-20.554, publié ; 4 juillet 2018, n°17-14.575
[20] Com. 3 juillet 2012, n° 10-17.624
[21] Com. 21 juin 2005, n° 04-12.087
[22] Com, 25 mars 2020, n°18-21.841
[23] Cour d'appel de Nîmes - 4ème chambre commerciale 22 novembre 2024 n° 24/02034
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