L’entraide amicale peut-elle être invoquée en défense d’un redressement URSSAF pour travail dissimulé ?

L’article L. 8221-1 du code du travail dispose que

« sont interdits :

1° Le travail totalement ou partiellement dissimulé, défini et exercé dans les conditions prévues aux articles L. 8221-3 et L. 8221-5 ;

2° La publicité, par quelque moyen que ce soit, tendant à favoriser, en toute connaissance de cause, le travail dissimulé ;

3° Le fait de recourir sciemment, directement ou par personne interposée, aux services de celui qui exerce un travail dissimulé ».

En application de l’article L. 8221-5 du même code, « est réputé travail dissimulé par dissimulation d’emploi salarié le fait pour tout employeur :

1° Soit de se soustraire intentionnellement à l’accomplissement de la formalité prévue à l’article L. 1221-10, relatif à la déclaration préalable à l’embauche ;

2° Soit de se soustraire intentionnellement à la délivrance d’un bulletin de paie ou d’un document équivalent défini par voie réglementaire, ou de mentionner sur le bulletin de paie ou le document équivalent un nombre d’heures de travail inférieur à celui réellement accompli, si cette mention ne résulte pas d’une convention ou d’un accord collectif d’aménagement du temps de travail conclu en application du titre II du livre Ier de la troisième partie ;

3° Soit de se soustraire intentionnellement aux déclarations relatives aux salaires ou aux cotisations sociales assises sur ceux-ci auprès des organismes de recouvrement des contributions et cotisations sociales ou de l’administration fiscale en vertu des dispositions légales »




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L’entraide amicale se caractérise par une assistance occasionnelle et spontanée et ne doit surtout pas se substituer à un poste de travail ni être nécessaire au fonctionnement de l’entreprise[1]

L’entraide amicale se caractérise par une aide ou assistance apportée à une personne proche de manière occasionnelle et spontanée en dehors de toute rémunération et de toute contrainte. Elle ne doit donc être ni régulière, ni importante, ni nécessaire à la marche de l’entreprise et ne saurait se substituer à un poste de travail nécessaire au fonctionnement normal de l’entreprise ou à une activité professionnelle.

L’entraide amicale est simplement présumée et peut toujours être renversée par la preuve contraire résultant des conditions réelles d’exercice de l’activité litigieuse.

Il appartient à l’URSSAF qui entend renverser cette présomption de démontrer l’existence d’une relation salariale caractérisée par une prestation de travail, un lien de subordination ou à tout le moins un travail dans un cadre organisé par l’employeur, lequel dispose du pouvoir de donner des directives et d’en contrôler l’exécution, assorti de celui de sanctionner les manquements, et une rémunération.

La Cour d’appel de Dijon a jugé[2] :

« En l’espèce, contrairement à ce qu’affirme l’URSSAF, l’existence d’un travail dissimulé ne saurait se présumer à partir de la seule matérialité d’une action de travail, pas plus qu’il n’appartient à la personne contrôlée de prouver l’absence d’une telle infraction.

L’appelante ne démontre pas que l’intervention de Mme [T] au sein de la société a excédé le cadre de la simple entraide amicale pour qu’elle puisse être assimilée à une relation salariale.Si les procès-verbaux des agents assermentés de la DIRECCTE font foi jusqu’à preuve du contraire, force est de constater,d’une part, que leur contenu n’a pas donné lieu à poursuites pénales et que, d’autre part, il n’en ressort pas l’existence d’un lien de subordination entre l’intimée et Mme [T], ni d’une rémunération versée à cette dernière laquelle ne doit être ni fictive ni symbolique, ni encore, la nécessité de son intervention pour le fonctionnement de la société.

En effet, l’activité de Mme [T] consiste en des tâches ménagères et parfois servir au bar lorsque son mari est absent, de manière sporadique et uniquement certains mercredis matins lorsque les enfants sont à l’école.

Le redressement est mal fondé et le jugement sera, en conséquence, confirmé sur ce chef. »

La Cour d’appel de Dijon a jugé[3] :

« En l’espèce, contrairement à ce qu’affirme l’URSSAF, l’existence d’un travail dissimulé ne saurait se présumer à partir de la seule matérialité d’une action de travail, pas plus qu’il n’appartient à la personne contrôlée de prouver l’absence d’une telle infraction.

L’appelante ne démontre pas que l’intervention de MM. [Y] et [X] au sein de la société a excédé le cadre de la simple entraide amicale pour qu’elle puisse être assimilée à une relation salariale ; que si les procès-verbaux des agents assermentés de la DIRECCTE font foi jusqu’à preuve du contraire, force est de constater, d’une part, que leur contenu n’a pas donné lieu à poursuites pénales et que, d’autre part, il n’en ressort pas l’existence d’un lien de subordination entre l’intimé et MM. [Y] et [X], ni d’une rémunération versée à ce dernier laquelle ne doit être ni fictive ni symbolique, ni encore, la nécessité de son intervention pour le fonctionnement de la société, les travaux consistant en des travaux de peinture sur les plinthes de la salle de sport. »

L’entraide amicale n’est susceptible de faire obstacle à la qualification de travail dissimulé qu’à la condition que la personne qui prête son concours le fasse sans obligation contractuelle, de manière ponctuelle, occasionnelle et non durable, gratuitement et sans contrepartie de quelque nature que ce soit, en dehors de toute sujétion juridique envers la personne qui la sollicite[4].

La Cour d’appel de Bordeaux a jugé[5] :

« En l’espèce, M. [N], immatriculé au répertoire des métiers en qualité d’auto-entrepreneur dans le secteur des travaux de peinture extérieure, de plâtrerie et de travaux de revêtement des sols et des murs depuis le 17 octobre 2018, ne conteste pas qu’il se rendait sur un chantier à [Localité 8] lorsqu’il a été contrôlé par les services de gendarmerie le 7 octobre 2019. À ses côtés se trouvaient M. [J] et M. [O], qui, selon les gendarmes ayant procédé au contrôle, portaient tous deux des vêtements de chantier. Ces constations ont donné lieu à un redressement pour travail dissimulé, M. [N] n’ayant jamais déclaré le moindre salarié.

Or il résulte de la lettre d’observations du 3 février 2020, tout comme des procès-verbaux d’audition des trois hommes, que M. [N] aurait sollicité M. [J] et M. [O] afin qu’ils l’aident, à titre gratuit, à transporter du matériel sur ledit chantier. Cette version des faits est demeurée identique tout au long de l’enquête sans que le récit d’aucun des trois hommes ne diffère.

Les protagonistes font valoir qu’ils se connaissent depuis le Moldavie dont ils sont tous trois originaires et M. [N] affirme entretenir des liens d’amitié avec M. [J] et M. [O] depuis de nombreuses années, ce qui n’est pas non plus contredit.

[N] argue ainsi l’entraide amicale, réfutée par l’Urssaf, au motif que les services de gendarmerie ont constaté une situation de travail et que le bénévolat ne peut être retenue lorsqu’une personne prête son concours à une entreprise relevant du secteur marchand et que la tâche accomplie est indispensable au fonctionnement de l’entreprise.

La cour constate pourtant que d’une part, l’appelant évoque ici l’entraide au titre de leur relation amicale et non le bénévolat, justifiant de leurs liens par le fait de venir du même village, [Localité 5], ce que confirment les deux passagers dans leurs auditions et d’autre part, les éléments de l’enquête ne suffisent pas à démontrer la matérialité des faits reprochés. En effet, M. [J] et M. [O] n’ont pas été contrôlé en situation de travail. Ils n’étaient pas en train d’effectuer des tâches relevant des activités pour lesquelles M. [N] est enregistré au répertoire des métiers et les aveux de ces trois personnes se bornent à évoquer un service amical consistant à charger et décharger du matériel de leur point de départ, jusqu’à un chantier. Le fait que les vêtements de M. [J] et M. [O] comportent des tâches de peinture est insuffisant à conclure qu’ils étaient en train de travailler et il est d’ailleurs tout à fait cohérent de se vêtir d’habits usés pour transporter du matériel salissant. Le fait que M. [J] présentait de la peinture dans ses cheveux n’est pas plus probant puisqu’il admet avoir transporté le matériel de peinture et qu’il se trouvait dans le véhicule dans lequel celui-ci a été chargé.

En outre, l’Urssaf ne démontre pas, ne serait-ce que par des témoignages de clients de M. [N], que l’entraide soulevée revêtait un caractère habituel. Elle ne rapporte pas plus la preuve de l’existence d’un lien de subordination entre M. [N] et les deux autres protagonistes. Le fait qu’ils aient convenu d’une heure pour se retrouver et que M. [N] soit à l’origine de la manoeuvre n’est pas de nature caractériser ce lien. Il n’est pas non plus retrouvé de preuve d’une contrepartie promise par M. [N] une fois la tâche accomplie, étant rappelée que M. [J] et M. [O] n’ont jamais parlé de salaire ou de récompense autre, au cours du contrôle ou de leurs auditions.

Enfin, il est constant que le rappel à la loi qui n’est pas un acte juridictionnel n’a pas autorité de chose jugée (Civ. 2e, 7 mai 2009, n° 08-10.362). Dès lors, l’Urssaf ne peut valablement se prévaloir de l’avis de classement prononcé par le procureur de la République le 27 novembre 2019 pour caractériser l’infraction de travail dissimulé.

Au regard de ce qui précède, il y a donc lieu d’infirmer en toutes ses dispositions le jugement critiqué, le travail dissimulé n’étant pas démontré. En conséquence, la mise en demeure du 18 août 2020 résultant du redressement effectué à l’encontre de M. [N] à l’issue du contrôle routier du 7 octobre 2019 est annulée. »

[1] Cour d’appel de Basse-Terre – Chambre sociale 26 février 2024 / n° 23/00303

[2] Cour d’appel de Dijon – Chambre sociale 12 octobre 2023 / n° 21/00626

[3] Cour d’appel de Dijon – Chambre sociale 9 mars 2023 / n° 20/00357

[4] Crim., 26 mai 2021, pourvoi n° 20-85.118

[5] Cour d’appel de Bordeaux – CHAMBRE SOCIALE SECTION B25 juillet 2024 / n° 22/01492




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Eric ROCHEBLAVE – Avocat Spécialiste en Droit du Travail et Droit de la Sécurité Sociale

 Eric ROCHEBLAVE
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Avocat Montpellier Eric ROCHEBLAVE

Avocat Spécialiste en Droit du Travail
et Droit de la Sécurité Sociale
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Lauréat de la Faculté
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