Les coupures d’électricité sont-elles des actes illicites de grève ?

Oui !

Des « coupures sauvages » sont constitutives d’actes illicites étrangers à la notion de grève.

Le droit de grève se définit comme la cessation collective et concertée du travail en vue d'appuyer des revendications professionnelles.

Cette cessation est-elle compatible avec la pratique d'actions positives sur l'outil de travail telle que la manœuvre intempestive et non programmée par l’entreprise de coupures électriques ?

Le droit de grève est un droit constitutionnellement reconnu et garanti.

La grève ne peut jamais être illicite.

Une grève peut cependant être licite dans son principe mais dégénérer en abus.

Enfin, l'abus du droit de grève doit être distingué des actes illicites ou de tout autre débordement.

Des « coupures sauvages » sont constitutives d’actes illicites étrangers à la notion de grève.

Le droit de grève doit pouvoir se concilier avec les autres droits et principes constitutionnels qui ont la même valeur.

Il en est ainsi des principes de la continuité des services publics et de la sécurité des personnes et des biens.

Cour d'appel, Versailles, 1re chambre, 2e section, 7 Février 2006 – n° 03/06915

Les syndicats peuvent être déclarés responsables des « coupures sauvages » d’électricité et condamnés à réparations

Les syndicats ou leurs délégués ne sauraient, du seul fait de leur participation à l'organisation d'une grève, être déclarés responsables de plein droit de toutes les conséquences dommageables des abus qui auraient pu être commis au cours de celle-ci.

Pour engager la responsabilité civile d'une organisation syndicale à l'occasion d'une grève, l'employeur doit rapporter la preuve d'une faute personnelle de celle-ci, d'une participation du syndicat aux actes illicites des grévistes et un lien de causalité entre l'éventuelle faute et le dommage subi.

Le seul fait que des adhérents ou des délégués de l'organisation syndicale aient participé à des actes illicites et dommageables ne suffit pas à caractériser la faute de celle-ci.

Enfin, pour établir cette responsabilité, il doit être démontré que les organes représentant légalement le syndicat ont effectivement participé aux faits fautifs et que les seules fautes susceptibles d'être retenues doivent résulter d'actes positifs, de provocation ou d'instructions et non d'un défaut de surveillance ou de maîtrise des grévistes sur lesquels l'organisation est dépourvue de tout pouvoir juridique.

Cour d'appel, Paris, Pôle 6, chambre 2, 4 Juin 2009 – n° 08/12161

Le 7 février 2016, la Cour d’appel de Versailles a jugé le SYNDICAT CGT d'EDF-GDF SERVICES NANTERRE et la FEDERATION NATIONALE ENERGIE CGT responsable d’actes illicites étrangers à la notion de grève pour des « coupures sauvages » d’électricité.

En l’espèce, dans la matinée du 8 décembre 1998, un mouvement de grève avait été observé par certains agents d'EDF-GDF SERVICES NANTERRE à l'appel des organisations syndicales dans la cause.

Dans la nuit du 8 au 9 décembre 1998 avaient eu lieu des coupures sauvages d'électricité et de gaz sur le territoire du Centre.

EDF-GDF avait soutenu que les coupures sauvages pratiquées dans la nuit du 8 au 9 décembre 1998 ont contrevenu aux principes sus-énoncés ainsi qu'à la note du 6 mars 1984 émanant du Directeur Général d'EDF qui prévoit que «  les manœuvres sur le réseau non commandées par la hiérarchie constitueraient des fautes pouvant donner lieu à des sanctions statutaires » et aux notes des 12 décembre 1988, 27 octobre 1989 et 10 octobre 1990 ayant une valeur réglementaire et force obligatoire.

Les organisations syndicales se prévalent de ce que ce mode d'action serait nécessaire à "l'expression du droit de grève" ; que les coupures n'auraient pas eu pour objet ni même pour effet d'entraver le service public minimum de l'électricité tel qu'il est défini par l'arrêté ministériel du 5 juillet 1990 fixant les consignes générales de délestages sur les réseaux électriques et qu'en toute hypothèse, elles n'ont affecté qu'une faible partie de la population ;

Mais la Cour d’Appel de Versailles a considéré, d'une part, que l'obligation d'assurer la continuité du service public ne saurait se réduire à la seule satisfaction du service prioritaire; d'autre part, qu'il ne peut davantage être retenu que les coupures sauvages sont nécessaires à l'expression du droit de grève tel qu'il est défini à savoir une cessation concertée et collective du travail sachant que de nombreuses grèves se déroulent sans recourir à ce type d'actions ; qu'enfin, le fait qu'elles ne concernent qu'un petit nombre d'usagers (853) est sans portée dans le débat.

Pour la Cour d’Appel de Versailles, il s'est avèré que ces coupures sauvages s'effectuent en contravention avec les règles de sécurité contenues, dans "un carnet de prescriptions au personnel d'EDF et de GDF" et ne permettent pas d'informer, comme le prévoit l'article 6 de l'arrêté du 5 juillet 1990, par tous moyens appropriés et le plus longtemps possible à l'avance, les usagers concernés par les délestages ; que les coupures intervenues au niveau de la desserte des abonnés et au niveau des canalisations constituent des interventions dangereuses dès lors qu'elles sont effectuées sans respecter les consignes édictées dans le cadre de coupures faites pour permettre notamment la réalisation de travaux ; que le risque pour la sécurité des personnes est constant ; que les ordonnances de non lieu ne peuvent être valablement invoquées par les syndicats ; qu'elles ont été rendues par les juges d'instruction au seul motif que les auteurs des infractions n'ont pas pu être identifiés;

Pour la Cour d’Appel de Versailles, les coupures sauvages perpétrées dans la nuit du 8 au 9 décembre 1998 s'analysent comme des actes illicites, que la responsabilité des syndicats doit être retenue pour avoir incité, en donnant des directives, à l'accomplissement de faits fautifs.

Pour la Cour d’Appel de Versailles, le lien de causalité était certain entre la faute et le préjudice allégué par les deux établissements publics constitué par les frais relatifs aux interventions nécessaires aux remises en gaz et en électricité, qui s'élèvent selon les factures produites, à 4 620,73 euros

Pour la Cour d’Appel de Versailles, il y avait lieu de condamner in solidum le SYNDICAT CGT d'EDF-GDF SERVICES NANTERRE et la FEDERATION NATIONALE ENERGIE CGT à payer à EDF et à GDF la somme de 4 620,75 euros correspondant aux frais de remise en état et celle de 750 euros à chacun d'eux, à titre d'indemnité fondée sur l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Cour d'appel, Versailles, 1re chambre, 2e section, 7 Février 2006 – n° 03/06915

Mais cette décision de la Cour d’appel de Versailles a été cassée par la Cour de cassation au motifs « qu'il résultait de ses propres constatations que le syndicat s'était borné à donner des directives pour la journée de grève et que les agissements fautifs avaient été accomplis après la fin de la grève, la cour d'appel qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations »

Cour de cassation, Chambre sociale, 14 Novembre 2007 - n° 06-14.074

Pour être sanctionné disciplinairement, le gréviste doit avoir personnellement pris part aux actions de coupure d'électricité ou à d'autres actes illicites

Selon les articles L. 1132-2 et L. 1132-4 du code du travail, aucun salarié ne peut être sanctionné en raison de l'exercice normal du droit de grève et tout acte pris en méconnaissance de cette disposition est nul.

Seule une faute lourde peut justifier une sanction disciplinaire à l'encontre d'un salarié gréviste.

La faute lourde est la faute d'une exceptionnelle gravité et commise avec l'intention de nuire à l'employeur, qui a pour effet de désorganiser l'entreprise ou d'empêcher les salariés non-grévistes d'accomplir leur travail. Elle suppose la participation personnelle du salarié aux faits illicites qui lui sont reprochés.

Dans une affaire, la Cour d’appel de Versailles a jugé qu’il ne résulte pas des constatations opérées par les huissiers qui se sont déplacés sur les sites occupés le 17 mai 2016 et le 24 mai 2016, qu’un gréviste avait personnellement pris part aux actions de coupure d'électricité ou à d'autres actes illicites.

Cour d'appel, Versailles, 6e chambre, 13 Juin 2019 – n° 18/04518

Eric ROCHEBLAVE
Avocat Spécialiste en Droit du Travail
et Droit de la Sécurité Sociale
Barreau de Montpellier
https://www.rocheblave.com/