Une notification d’indu de la CPAM peut-elle être annulée si elle n’est pas motivée ?

Lorsqu’une caisse primaire d’assurance maladie (CPAM) notifie à un professionnel de santé un indu de plusieurs dizaines de milliers d’euros, elle doit impérativement respecter des règles de fond et de forme strictes. En particulier, la décision doit être motivée, c’est-à-dire expliquer clairement les faits reprochés, les règles applicables et le calcul des sommes réclamées.
Dans une affaire récente, une infirmière libérale du Var a contesté une notification d’indu de 137 973,63 € au motif que la décision de la CPAM ne comportait aucune explication concrète sur les irrégularités reprochées. La Cour d’appel d’Aix-en-Provence lui a donné raison : la décision a été annulée pour défaut de motivation, sans même que le fond du dossier ait été examiné.

Cet article revient sur cette décision importante, qui rappelle aux professionnels de santé leurs droits face aux contrôles de la CPAM, et aux caisses leurs obligations de transparence et de rigueur.




 

La CPAM du Var a réclamé 137 973,63 euros à une infirmière

La Caisse primaire d’assurance maladie (CPAM) du Var a adressé à une infirmière libérale une notification d’indu pour un montant de 137 973,63 €, à l’issue d’un contrôle de ses facturations. Cette décision, datée du 8 avril 2016, prétendait que des prestations avaient été indûment réglées en raison d’anomalies frauduleuses dans les actes facturés.

Cependant, la lettre de la CPAM se contentait d’indiquer un montant global, sans détailler les motifs, les prestations en cause, les dates ou encore les références aux textes applicables.

 

L’infirmière a contesté l’indu pour défaut de motivation

Une lettre qui ne permet pas de comprendre les griefs

L’infirmière a saisi la justice pour contester la validité de cette décision. Elle a notamment soutenu que la notification d’indu était entachée d’un défaut de motivation : elle ne comportait aucune considération de droit ni de fait, et ne permettait pas de comprendre les manquements reprochés.

Elle faisait également valoir que le tableau récapitulatif annexé ne suffisait pas à combler ce manque de motivation. Ce document listait des patients, des actes et des montants, mais sans expliquer la cause précise de l’irrégularité (absence de prescription, erreur de cotation, acte non réalisé, etc.).

« La décision du 8 avril 2016 portant notification d'un indu de 137 973,63 euros est rédigée en ces termes : 'après examen de votre dossier il apparaît que nous vous avons réglé certaines prestations à tort. Vous trouverez, en annexe, le tableau récapitulatif détaillé relatif à ces anomalies qui vous rendent redevable à ce jour de la somme de 137 973,63 euros. Les anomalies décelées présentent un caractère frauduleux susceptibles de relever d'une procédure pénale. Pour autant, j'ai décidé de ne pas engager unetelle procédure et de vous ,otifier le montant des irrégularités constatées'. Cette décision ne comporte donc, en elle-même, aucune référence à la nature ou à la cause de l'indu.

Le tableau récapitulatif qui y est annexé, dont se prévaut la caisse à titre de motivation de l'indu, comporte l'identité de chaque assuré concerné, et pour chacun:

- une colonne 'date acte',

- une colonne 'actes facturés, quantités et montants AIS3, AMI1, AMI2, IFA, MAU, F' et un montant total,

- une colonne 'anomalie NGAP avec quantités et montants AMI1' pour certains assurés seulement,

- une colonne 'actes en anomalies' mentionnant 'quantité et montant AIS3, AMI1, AMI2, IFA, MAU, F' et un montant total.

Le tableau récapitulatif annexé se borne à indiquer pour chacun des patients concernés des colonnes 'total facturations', 'indu non frauduleux' , 'indu fraude', 'total IPS', '% anomalie' et des montants correspondants. »

La régularité du contrôle remise en cause

Par ailleurs, l’infirmière a contesté la régularité du contrôle lui-même, notamment parce que les agents de la CPAM n’avaient pas apporté la preuve de leur agrément et assermentation, comme l’exige la réglementation.

Selon elle, ces manquements ont porté atteinte à son droit au respect du contradictoire, et rendent toute la procédure irrégulière.

La Cour d’appel d’Aix-en-Provence a annulé la décision de la CPAM du Var

La Cour d'appel d'Aix-en-Provence a jugé[1] :

« Il ne figure à ces tableaux aucune date ou n° de prescription, aucun taux de remboursement, aucun n° de lot et de facture, aucune date de mandatement, ni, surtout, pour tous les actes la cause précise du non respect de la nomenclature générale des actes professionnels (tels que : absence de démarche de soins infirmiers, absence de prescription, actes facturés non réalisés, erreurs de cotation de la nomenclature générale des actes professionnels, surfacturation...).

Il s'ensuit que la décision d'indu querellée n'est motivée au regard d'aucun élément de fait ou de droit et n'a pas permis à l'infirmière de connaître avec précision la cause, la nature et l'étendue de son obligation.

Par conséquent et sans qu'il soit besoin d'analyser les autres moyens soutenus, le jugement doit être confirmé en ce qu'il a annulé la décision d'indu et débouté la caisse de sa demande en condamnation de l'infirmière au remboursement de la somme de 137 973,63 euros. »

Une décision d’indu sans base légale

La Cour d’appel d’Aix-en-Provence a donné raison à l’infirmière. Elle a jugé que la décision de la CPAM n’était motivée par aucun élément de fait ou de droit permettant de comprendre les causes de l’indu. Aucun acte précis, aucune date de soin, aucun numéro de facture ou de prescription n’était mentionné.

La Cour a estimé que cette carence empêchait l’infirmière de connaître la nature, la cause et l’étendue de son obligation. Elle a donc prononcé la nullité de la décision de notification d’indu.

La CPAM déboutée de sa demande de remboursement

En conséquence, la CPAM a été déboutée de sa demande de remboursement des 137 973,63 €.

La Cour a également annulé la pénalité financière de 30 000 € qui avait été infligée à l’infirmière sur la base des mêmes éléments irréguliers.

 

La Cour d'appel d'Aix-en-Provence a jugé[2] :

« En l'espèce, la notification de griefs du 21 décembre 2016 est motivée comme suit : 'dans le cadre des articles R 315-1-1 et R 315-1-2 du code de la sécurité sociale, le service du contrôle médical a procédé à l'analyse d'une aprtie de votre activité sur la période du 1er mars 2013 au 1er avril 2015. A l'issue de cette analyse, les anomalies relevées suivantes:

- actes facturés non réalisés

- fraude à la nomenclature générale des actes professionnels

constituent un manquement grave à vos obligations et peuvent faire l'objet d'une pénalité financière d'après les dispositions des articles L 117-4-1 et R 147-11 du code de la sécurité sociale. L'ensemble des irrégularités constatées, dont le montant s'élève à 127 051,88 euros, relève de l'article R147-11 du code de la sécurité sociale qui détermine le champ d'application des fraudes pouvant faire l'objet d'une pénaité financière' [...].

La décision de pénalité notifiée le 13 mars 2017 est motivée par les mêmes anomalies de facturations.

Il en résulte que la décision de pénalité fait uniquement référence aux anomalies de facturation mentionnées au tableau annexé à l'indu notifié le 8 avril 2016, et qu'elle est donc uniquement motivée sur le fondement de celui-ci.

Or, il vient d'être jugé que la notification d'indu du 8 avril 2016 est annulée pour motif de fond tenant à l'absence de motivation de celui-ci qui n'a pas permis à l'infirmière de connaitre la cause et la nature de ses obligations.

Par conséquent, la nullité de l'indu entraîne nécessairement celle de la pénalité financière. »

Enfin, la CPAM a été condamnée à verser une indemnité au titre des frais de procédure.

Quelles conséquences pour les professionnels de santé ?

Une exigence stricte de motivation des notifications d’indu

Cet arrêt rappelle une règle fondamentale : une notification d’indu doit être motivée, conformément à l’article R.133-9-2 du Code de la sécurité sociale. Cela implique d’indiquer :

  • le motif précis du redressement,
  • la nature des prestations concernées,
  • les montants détaillés réclamés,
  • la date des versements supposés indus.

Une simple référence à un tableau global ou une formule vague sur des « anomalies » est insuffisante.

 

Le respect du contradictoire est impératif

Le juge souligne également l’importance du respect du contradictoire lors du contrôle et de la procédure qui en découle. L’agent de la CPAM doit justifier :

  • de son assermentation et de son agrément,
  • du respect des droits de la personne contrôlée,
  • de l’envoi d’un rapport contradictoire avant toute notification d’indu.

À défaut, la procédure peut être annulée en totalité.

Une jurisprudence protectrice pour les infirmiers et professionnels libéraux

Cette jurisprudence est un précédent favorable pour les professionnels de santé confrontés à des demandes de remboursement injustifiées ou mal fondées. Elle montre que le juge n’hésite pas à sanctionner la CPAM lorsque celle-ci ne respecte pas strictement les règles de procédure.

Les infirmiers libéraux, kinésithérapeutes, médecins ou autres professionnels peuvent ainsi faire valoir leurs droits face à une CPAM qui agirait sans transparence ni rigueur.

Vous êtes infirmière libérale et la CPAM vous réclame un indu ? Ne restez pas seule face à ces procédures

Les décisions de la CPAM peuvent avoir des conséquences financières majeures pour votre activité. Comme l’a rappelé la Cour d’appel d’Aix-en-Provence, une notification d’indu mal motivée ou fondée sur un contrôle irrégulier peut être annulée. Vous avez des droits, et il est essentiel de les faire valoir.

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[1] Cour d'appel d'Aix-en-Provence - Chambre 4-8b 13 septembre 2024 / n° 23/06332

[2] Cour d'appel d'Aix-en-Provence - Chambre 4-8b 13 septembre 2024 / n° 23/06332

 




Eric ROCHEBLAVE - Avocat Spécialiste en Droit du Travail et Droit de la Sécurité Sociale

 Eric ROCHEBLAVE
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Parcours, succès judiciaires, avis clients, revue de presse…

Avocat Montpellier Eric ROCHEBLAVE

Avocat Spécialiste en Droit du Travail
et Droit de la Sécurité Sociale
Barreau de Montpellier
https://www.rocheblave.com/

Lauréat de l’Ordre des Avocats
du Barreau de Montpellier

Lauréat de la Faculté
de Droit de Montpellier

DESS Droit et Pratiques des Relations de Travail
DEA Droit Privé Fondamental
DU d’Études Judiciaires
DU de Sciences Criminelles
DU d’Informatique Juridique

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